lundi 16 juin 2014

Les cœurs d'une renarde


En descendant du muret qui lui sert d'observatoire quand le soleil éclaire la lune, elle remarque, entre le gris des briques un minuscule trou, un trou en forme de cœur.

En démêlant une mèche de ses cheveux en bataille prise dans la vigne, elle découvre une feuille naissante, une feuille en forme de cœur.

En se promenant dans la forêt elle s'agenouille et semble se recueillir au pied d'une souche d'arbre, une souche en forme de cœur.

En sautillant dans le jardin elle remarque des brindilles abandonnées, peut-être par une pie qui faisait son nid, des brindilles qui forment un cœur.

Perdue dans ses pensées, au milieu de la cour bruyante, des enfants qui jouent, courent, chantent, s'amusent ou se chamaillent elle se penche pour ramasser un tout petit bout de papier oublié, un petit bout de papier en forme de cœur.

En suivant ses amis, son chat à la robe réglisse et son étrange compagnon imaginaire au chapeau couleur nuit, elle trouve dans le fond du jardin, parmi les herbes folles un brin plié par le vent, un brin d'herbe qui forme un cœur.

En partant à la recherche de fleurs aussi sauvages que son âme d'enfant pour les assembler en bouquets magiques elle ramène des pétales immaculés, des pétales en forme de cœur.

En prenant une de ces douces douches de pluie qu'elle aime tant elle évite de justesse une flaque, une flaque de pluie en forme de cœur.

En inventant des histoires tristes de petite fille joyeuse avec ce qui lui tombe sous la main : boutons et ficelles, craies et cendres elle lâche les cailloux prisonniers de sa main couleur de terre, ils tombent et forment un cœur.

En observant comme des blessures de guerre les écorchures sur ses genoux nus elle remarque, sur sa cheville un coup bleu, un coup en forme de cœur.

En offrant son nez laiteux et ses joues cerise au soleil, en laissant s'envoler son âme de princesse tribale dans le ciel qui l'a vue naître elle admire les nuages et se laisse emporter par un tout petit nuage gris, un nuage en forme de cœur.


Chaque nuit, au moment où mes mains fatiguées d'avoir pétri se délient, au moment où mes jambes fatiguées d'avoir enjambé tant de gris s'étendent, au moment où je partage les plumes du père des mes enfants sauvages,

Chaque nuit, mes paupières se ferment sur un monde pour en retrouver un autre.

Je m'envole au dessus des forêts de bouleaux, de chênes, de hêtres, d'aulnes, d'érables, de tilleuls et d'ormes.

Mon âme se nourrit de ce qui n'a pas d'âge, mes yeux s'ouvrent vraiment, mes narines boivent les parfums que la nature nous offre.

Je me rapproche de la cime des arbres devenus des amis, je me pose sur une branche surplombant un sentier créé par les pas des amoureux et le rouge se détache du brun.

Au milieu du sentier quelque chose luit et semble bouger.

Là à même la terre, l'écorce et les feuilles mortes mon cœur bat paisiblement.

Ma renarde le remarquera-t-elle, rouge et à vif quand les troncs et les branchages seront sa maison ?

S'agenouillera-t-elle pour approcher son oreille du tapis de verdure ?

Entendra-t-elle mon cœur battre et vibrer quand il sera enfui et digéré par la terre ?

Devinera-t-elle que ce sont ses trésors minuscules et grandioses, ses chants nobles et sauvages, ses sourires enjoués et espiègles, ses mots doux et tendres, ses couleurs naturelles et gourmandes, ses rêves légers et étranges, ses étreintes éternelles et guérisseuses, ses regards profonds et enfantins qui coulaient dans mon cœur et le faisaient battre ?

Entendra-t-elle le murmure de ma vie, de mon âme, de mon cœur né le jour où mes entrailles sont devenues celles d'une mère ?

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